Interview

Anissa: Est-ce que vous pouvez vous présenter en quelques mots?

Guillaume Herbaut: Alors je suis photographe, je m’appelle Guillaume Herbaut, je fais ce travail …c’est plus qu’un travail, mais je le fait depuis pratiquement 20ans. J’ai commencé jeune, je fais du reportage un peu partout, de lieux qui sont un peu compliqués à photographier.

Anissa: Vous avez tu reportage, est ce qu’il y a une différence entre reporteur et grand-reporteur?

Guillaume Herbaut: Non, ça c’est des statuts dans la presse, mais moi je suis indépendant, donc je travail avec des grand reporteurs, mais moi je suis photographe pigiste et voila.

Anissa: Qu’avez vous fait comme études?

Guillaume Herbaut:J’étais un mauvais élève, donc j’ai fait le bac, un bac général, après j’ai fait une année d’économie, mais en fait j’allais pas en cours, je partais dans la rue, et donc je me suis rendu compte qu’il valait mieux que je fasse ma passion qui était la photo, et j’ai ensuite intégré une école de photo en tiers-de-temps, donc je travaillais à côté, donc j’étais à l’école deux matinées et ceux soirées pour semaine, et l’école ne m’a riens apprise. Donc j’ai appris sur le terrain, en faisait des reportages en bas de chez moi, puis en Bosnie est en Croatie, et en rencontrant des gens.

Juliette: Quel est votre cliché le plus marquant, vous pensez?                                                   Guillaume Herbaut: Je sais pas…

Anissa: Un jour vous étiez venus au collège Decroly pour faire une mini-conférence, j’y étais venu, et il y avait l’image d’une petite fille sur un lit avec un couteau.

Guillaume Herbaut: Ah oui, mais je crois que j’en ai fait plusieurs, mais celle-ci, c’est Périola, (photo 1) une petite fille, son père avait été tué quand elle était petite dans leur jardin, et donc les filles/femmes de sa famille lui ont donné la responsabilité de le venger, l’âge venu. Quand je la rencontre avec sa mère pour la première fois, pour montrer qu’elle a été élevée dans la vengeance, on lui donnent un couteau (on peut remarquer qu’elle le tient mal).  Je la retrouve deux ans après, lui montre la photo à elle et sa mère, qui est très contente et l’affiche dans la maison.  Quand elle a 18 ans, je retourne dans sa ville et la cherche pendant une semaine, je la retrouve et on parle de la photo et elle me dit que cette photo l’a aidé quand elle avait l’âge de venger son père, à réfléchir à la vengeance, et elle s’est dit qu’il fallait qu’elle jette le couteau pour sortir de la vengeance, et sa vengeance sera de faire des études et de montrer qu’elle est heureuse.  Cette photo est très importante pour moi, c’était un déclic pour cette fille et lui a permis de sortir de quelque chose qui allait être un poison toute sa vie.

Il y a aussi, Lina (photo 2), ette photo a fait le tour du monde. Son mari a été assassiné et elle attend que ses enfants grandissent pour se venger. Elle aussi, je vais la retrouver quelques années plus tard, entre temps c’est son beau frère qui s’est vengé, et depuis, la famille du criminel de son mari veulent la tuer ou tuer son fils qui a 20 ans, et ils vivent donc enfermés chez eux.

Aussi Inna Shevchenko (photo 3) est la chef des Femens, il l’a photographié quand elle n’était pas connue. Je revenait de Tchernobyl (j’avait travaillé environ 10 ans dessus), donc il fallait que je travaille sur un sujet un peu plus léger, marrant en Ukraine. J’avait vu ces filles qui aimaient faire des manifestations, donc j’ai fait une série photo et au final elle a été sélectionnée World Press. A partir de là, cela les a vraiment aidé à être hyper connues et c’est devenu une icône.

Anissa: donc vous aidez beaucoup …

Guillaume Herbaut: Je n’aide pas, je photographie.

Anissa: Mais par exemple Périola, vous l’avez aidé a faire le choix de faire des études … Guillaume Herbaut: Mais ce n’est pas volontaire de ma part, mon travail est de raconter des histoires, montrer des choses et puis après, tant mieux si cela provoque des choses. Mon travail est de provoquer quelque chose chez le lecteur, chez la personne qui regarde et qu’a un moment donné il y ai un déclic, pour que la société puisse réfléchir sur ce qui nous entoure et comment faire pour s’impliquer ou pour essayer de comprendre ce qui est en train de se passer autour de nous. Mais après, si ca peut aider les gens que je photographie, c’est encore mieux.

C’est des images marquantes, mais il y en a pleine d’autre.

Juliette: Retouchez-vous vos photos?

Guillaume Herbaut:Non, je ne retouche pas mes photos, mais il y a plusieurs trucs: Quand j’ai commencé la photographie, c’était du négatif, et dans le négatif, ce sont des produits, c’est quelque chose qui existe, il y a donc des limites dans l’image. Mais quand le numérique est arrivé, j’ai a commencé a travailler en numérique, mais j’avais mes référents argentiques dans la tête. Donc aujourd’hui, quand je travail, je fais comme si j’avais une image argentique, c’est a dire que ce qui est travaillé, c’est simplement les contrastes et la chromie, mais je ne va pas rajouter quelque chose, faire de la retouche, je vais faire de la repique. La repique est quand on nettoie la photo. Après, je fais un développement ou un tirage, mais là c’est dans les règles de l’argentique. Mais je ne va pas, par exemple si il y a un poteau (comme dans la photo d’Inna), je ne vais pas l’enlever. C’est une de mes règles fondamentales. Il y a des gens qui vont recaler les perspectives, les perspectives ne sont pas droites à cause de la déformation de l’optique et ils vont les remettre droites. Mais moi, je ne fais pas ça, si le poteau me gène, je vais la considérer comme ratée. Pour moi, photographier est comme une performance, il faut être bon quand on photographie, si on n’est pas bon sur le moment, on va rater. J’adore ce moment là, parce que je dois être hyper concentré et vraiment comprendre l’événement, être avec les gens et sentir les choses, être vraiment impliqué à un moment. Et si je ne suis pas bon à ce moment, tant pis pour moi.

Anissa: Donc vous gardez l’authenticité de l’argentique dans vos photos…

Guillaume Herbaut: A chaque fois que tu passes par un procédé technique, l’authenticité, elle en prend un coup. Donc j’essais de garder les limites physiques des choses. Mais pour moi, le numérique est aussi authentique que l’argentique, ce n’est qu’une technique.

Juliette: Avez vous des peurs? des appréhensions?

Guillaume Herbaut: A chaque fois que je pars dans des endroits qui sont durs, comme Tchernobyl, il y a la radioactivité, je serais dans un endroit socialement hyper dur, avec des violences permanentes, je vais rencontrer des anciens prisonniers qui se réfugient dans les zones interdites, il y a la présence de l’alcool tous les soirs dans les boites de nuits, il y a des bagarres. Et il y a le danger physique de la radioactivité. Quand je pars, j’ai peur. Quand je vais en Ukraine, dans les zones de conflits, avant, j’ai peur. Et heureusement! La peur, c’est une information. A partir du moment où on a plus peur, on est en danger. Donc il faut le savoir, et aussi savoir comment gérer sa peur.  Quand j’étais à Prypyat (photo 4), une qui est à 3km de la centrale de Tchernobyl, qui a été évacuée du jour au lendemain en 1986. Aujourd’hui c’est une ville fantôme et c’était une ville de 20 mille habitants, donc quand on y va, c’est « The Walking Dead », il n’y a personne, la végétation prend le dessus. Un jour j’étais à 5h du matin sur le toit d’un immeuble et j’entendais une meute de loups hurler à la mort par exemple, et il y a des gens qui entrent clandestinement dans la zone, on appelle ça des ‘stalkers’, qui vivent en lisière de zone interdite, et qui vont voler à l’intérieur de la zone. Donc en fait quand on écoute la ville, on peut entendre des gens taper du métal, le chercher etc. Donc c’est une vision apocalyptique. En plus il y a la radioactivité mais moi je connais bien cette ville. Et un jour, je me suis promené dans la ville, et j’avais plus peur. Et je me suis rendu compte « Tiens là j’ai plus peur, il faut que j’arrête, il faut que je parte, c’est trop dangereux pour moi maintenant. » Quand j’ai pas peur, je me sit qu’il y a un problème.

Anissa: Qu’avez vous comme sécurité sur vous?

Guillaume Herbaut: Ca dépend où je vais. En zone de guerre, quand tu va en ligne de front ou là il peut y avoir des tirs, là j’ai un gilet par-balle et un casque. Et après j’ai une assurance particulière qui m’assure en cas de problème. Et en zone contaminée j’ai un radiomètre et je ne mange pas la nourriture locale. Mais c’est pas mieux, parce que je mange de la nourriture industrielle et c’est très mauvais.

Kéÿna: Êtes vous toujours d’accord avec l’utilisation de vos photos par les journaux et les magazines?

Guillaume Herbaut: Alors ça dépend comment on les exploite, souvent je suis envoyé par des magazines mais je ne me reconnais pas dans le travail qui est publié, car moi je ne me permet pas de recarder mes images, mais eux vont les recarder; Parfois je fais un ‘editing’ donc un choix de photos de par exemple 20 photos et il ne va y avoir que 3 qui sont choisis et ça ne va pas raconter l’histoire entièrement. Parfois je suis frustré, mais ça dépend des journaux, il y a des journaux je suis jamais content, donc quand je pars je sais que je ne vais pas être content, mais je vais gagner de l’argent donc ça va me permettre de  produire d’autre chose. Mais le plus souvent, les journaux avec qui je travail ne me trahissent pas non plus, je n’ai pas eu de grave problèmes avec la presse. Mais parfois il y a des manques de rigueur des maquettistes ou des journalistes ou de la rédaction, ils vont se tromper de légende. Un jour j’ai eu deux portraits côte à côte, et a la derniers minute, la maquette elle s’est retournée, elle a échangé les photos, elle les a changé de place, mais pas les légendes. C’est le genre de truc qui m’énerve profondément, mais c’est très rare.

Anissa: Et quand ils recardent vos photos, il y a un but, ça change le sens, ou pas mais c’est quand même embêtant?

Guillaume Herbaut: Non mais moi je me casse la tête pour cadrer. Et quand je choisis une image, c’est qu’elle est construite et que je veux dire quelque chose. Donc quand on enlève un truc, je me dis ‘Mais de quel droit?’. En plus, pour recarder une image, il faut avoir beaucoup de talent. Moi je ne me permet pas de recadrer mes images, parce que je sais que je vais mal recadrer. Et d’ailleurs, quand j’ai des étudiants photographes, je leur dit. les jeunes, en général ils recardent super mal leurs images. C’est vraiment n’importe quoi. Et parfois, le cadre même brut et un peu raté, il est beaucoup plus fort. Donc quand un graphiste qui ne connais rien à la photo et qui recarde mes images et qui recadre mal, ça m’insupporte.

Anissa: Est ce que vous écrivez vos légendes? Et même dans vos albums, est ce que vous écrivez les textes à côté?

Guillaume Herbaut: Ca dépend des livres. Alors les légendes c’est moi qui les faits, après évident moi je ne suis pas un écrivain donc je n’ai pas un style génial, donc après elles peuvent être retravaillées, les légendes, mais le sens n’est pas enlevé. Dans certains livres c’est moi qui ai fait les textes. Voila, celui la c’est le dernier, c’est ma chronique, donc là il y a trois/quatre textes, et c’est sur le début de la guerre en Ukraine, et là c’est mon carnet de bord, ça je vais l’intégrer. Il y en a très peu par contre, parce que moi je suis photographe, donc j’essai de raconter avec mes photos, le texte ça passe en deuxième position. Ce qui m’intéresse c’est le rythme entre les photos en fait. La photographie, en fait, c’est une véritable écriture. Ca veut dire que c’est pas qu’une image, c’est la série d’images qui m’intéresse. Quand on construit un livre, on réfléchis comme une grammaire. On va se dire ‘quelle photo va suivre celle là? Et qu’est ce que ça va raconter?’ C’est comme l’articulation d’un texte, pour moi, la photographie est de l’ordre de la littérature. C’est assez marrant, aujourd’hui on est dans une société où tout est image, et à l’école on ne nous apprend pas à lire une image, à construire par rapport à une image, alors que comme vous allez le dire, on se fait constamment manipuler par les images. Donc si on a pas de culture de l’image, si on ne sait pas construire une image, on a pas la technique photo, on est illettré aujourd’hui. Il y a une vraie formation à faire. Par exemple, l’année derniers au World Press il y a un sujet qui à été primée, qui montra des photos d’une ville en Belgique, et quand j’ai vu le sujet, je me suis dit ‘mais c’est n’importe quoi, juste visuellement, ce sujet c’est n’importe quoi, tout est bidonné.’ Et 15 jours plus tard, c’était le grand scandale de l’année dernière, parce qu’il y a des photographes comme moi qui ont révélé le truc, et qui ont fait une enquête pour montrer que tout était bidonné. Et donc ça veut dire que si on ne connais pas l’univers de la photo, on se fait manipuler tout le temps.